Parcours, profils et missions des Chief Digital Officers des grandes entreprises françaises.

Chief Digital Officers du CAC 40 : qui sont-ils ?

La transformation digitale tient finalement en si peu de choses ! Parfois, en un simple virus qui a suffi à accélérer le mouvement de fond du télétravail et de la digitalisation. Ou parfois en 3 petites lettres : CDO. Le Chief Digital Officer. Cet acronyme porte à lui seul la mission d’orchestrer la transformation digitale des entreprises.

[ETUDE REALISEE ET CHIFFRES RECUEILLIS AU COURS DE L'ANNEE 2021. CERTAINS ELEMENTS ONT PU EVOLUER AU MOMENT DE LA PUBLICATION DE L'ARTICLE.]

Le digital s’est invité il y a peu dans le paysage stratégique des grands Groupes. Si la prise de conscience fut tardive, le succès fut fulgurant : en 2015, selon le baromètre du cabinet de conseil Weave, seuls 18% des responsables du numérique du CAC 40 siégeaient au COMEX de leur entreprise. En 2021, ce chiffre a plus que triplé : c’est désormais 61% des entreprises du CAC 40 qui ont un(e) responsable en charge du digital ou de l’innovation au sein de leur COMEX. Ce mouvement de fond témoigne d’une réelle volonté d’inviter le digital dans les décisions stratégiques de l’entreprise.

Pourtant, le périmètre d’intervention du CDO reste à géométrie variable. Parfois flou ou mal défini, souvent mal compris en interne, l’éventail de ses compétence est assez large ; il en découle une grande diversité et une grande richesse de profils.

chief digital officer

Portrait-robot du CDO du CAC 40

  • Cursus académique : commerciaux et ingénieurs à parts égales.

Pour devenir CDO, il n’y a pas de cursus académique préférentiel. Sur la quarantaine de profils analysés, on retrouve aussi bien des profils-ingénieurs que des profils-commerciaux ou marketing. On notera toutefois que les directeurs digitaux du CAC 40 sont majoritairement issus de formations reconnues pour leur forte exigence académique, quelle que soit la discipline choisie.

Ils sont généralement détenteurs d’un master d’une école de commerce du top 3 (30%), d’un master d’une école d’ingénieur du top 10 (33%) ou d’un master de prestigieuses universités internationales (12%) telles que Karlsruher Institut für Technologie (KIT) ou encore l’école Polytechnique de Montréal.

Les CDO ont souvent plusieurs diplômes à leur actif. Ceux qui ont pour formation initiale Sciences Po, sont souvent diplômés d’une deuxième grande école telle que l’ENA ou l’ENS.

Il est courant que les directeurs du digital aient complété leur formation initiale en cours de carrière par un MBA dans un établissement prestigieux comme l’INSEAD, HEC ou parmi des établissements internationaux comme IMD Business School ou Aston University.

Quelques parcours atypiques subsistent ! Tels ceux d’Arnaud Robert (Sanofi) et Peter Weckesser (Schneider Electric) tous deux titulaires d’un doctorat en informatique. Le cursus de Belen Moscoso del Prado Lopez-Doriga (Sodexo) est également atypique : elle a effectué ses études à l’université Carlos III de Madrid en… littérature et économie ! Un parcours comme celui d’Eric Caen (Crédit Agricole) qui s’est lancé dans l’aventure entrepreneuriale sans même un bac en poche, reste une exception rarissime à ce niveau…

En chiffres, cela donne quoi ?

35%
61%
52 ans
de femmes siègent au Comex de moyenne d'âge
  • Parité hommes-femmes : on n’y est pas encore !

35% de femmes contre 65% d’hommes : la parité est loin d’être acquise. Plus dérangeant, la part des femmes semble stagner, que l’on regarde le CAC 40  ou plus largement les entreprises françaises : 35% en 2015, 33% en 2017 … À l’heure où la révolution technologique bat son plein, rappelons que les femmes représentent à peine plus d’un quart des emplois du numérique (27,9%) d’après Syntec Numérique.

 

  • Moyenne d’âge : peu de digital natives.

52 ans de moyenne d’âge : les CDO du CAC 40 ne sont pas des digital natives. Ce poste à responsabilité, hautement stratégique, reste destiné à des profils seniors. En 2015, hors CAC 40, le cabinet Haussmann Executive Search notait déjà une très forte représentation de la tranche d’âge des quadragénaires3 (62% de 40-50 ans). L’âge moyen des groupes du CAC 40 est sans surprise plus élevé que la moyenne des CDO en France mais la baisse de la moyenne d’âge paraît inéluctable.

 

  • Nominations : le recrutement externe d’une courte tête

Environ 45% des CDO en poste proviennent d’un recrutement interne à l’entreprise après une moyenne de 14 ans d’expérience au sein de celle-ci. Grâce à leur connaissance fine de l’entreprise, ces CDO ont pu capitaliser sur leur réseau, leur influence et su identifier les opportunités de transformation et les résistances au changement.

A 55%, les recrutements externes restent donc majoritaires. Ils sont souvent issus d’une stratégie de rupture digitale avec des profils experts dans le digital ou la data, souvent issus de pure-players. Toutefois, avoir travaillé chez un géant du numérique est un temps de passage moins important qu’on pourrait l’imaginer : seul 5 CDO actuels du CAC40 ont connu une expérience professionnelle au sein des GAFAM, dont 3 chez Microsoft.

En chiffres, cela donne quoi ?

45%
12%
76%
ont été recruté en interne pour ce poste sont passés par les GAFAM de nationalité française

Des directions digitales à géométrie variable

Le CDO a souvent plusieurs rôles au sein d’une organisation. Même si sa fonction première reste la transformation numérique du groupe, son champ d’action n’est presque jamais restreint à cette fonction unique. Son cœur de métier est très souvent couplé à une autre fonction comme l’analyse de données, le système d’informations, l’innovation ou encore l’e-commerce.

Certaines entreprises relient également le pôle digital à des fonctions plus éloignées. Ainsi, chez Saint-Gobain,

Ainsi seuls 8 des 40 CDO du CAC ont un intitulé de poste restreint au terme seul de Chief Digital Officer. A l’inverse certains grands groupes n’ont pas de CDO « officiel » : la fonction reste répartie sur différents acteurs et sur différentes directions (I.T, Data, Métiers…) C’est par exemple le cas à BNP Paribas.

  • Des effectifs variables selon les entreprises

Les CDO n’ont pas les mêmes moyens à leur disposition : la taille de leurs équipes au sein du département digital est extrêmement disparate et variable selon les secteurs.

Chez Orange, Michael Trabbia (Chief Technology and Innovation Officer) co-dirige l’une des équipes digitales les plus importantes. Sa division (Technical & Global Innovation) regroupe plus de 8000 collaborateurs autour de 5 directions métiers, placées au service de 13 portefeuilles et 9 domaines de recherche.

Lubomira Rochet, ex CDO de L’Oréal, et Maud Bailly, ex CDO d’Accor, étaient quant à elles, à la tête d’équipes de respectivement 1200 et 1500 personnes.

A l’inverse, on peut noter des effectifs plus restreints dans des secteurs industriels « historiques » comme l’agroalimentaire ou l’automobile. Christophe Rauturier, CDO du groupe PSA, est à la tête du Customer Digital Factory comptant environ 350 personnes. Avant son départ de Danone, Domitille Doat-Le Bigot s’appuyait sur une équipe de 450 personnes.

product director

Portrait-robot : 3 Types de CDO

En résumé, nous pouvons dresser 3 grands portraits de CDO, qui portent 3 grandes missions de transformation.

/ 01 Le Transformateur Stratégiste

Le CDO Transformateur Stratégiste possède une vision étendue et une fine connaissance de l’entreprise. Le plus souvent nommé en interne pour ses qualités de stratège et d’évangélisateur numérique, il est à la recherche d’opportunités de croissance et d’efficacité en interne.
Dans l’immense chantier de la transformation digitale, il doit permettre à l'ensemble de l'organisation de gagner en efficacité et en agilité. C’est un objectif large, qui nécessite d’avoir les coudées franches de la part de sa direction… ou de savoir peser sur les décisions prises en Comex.
Amélie Oudea-Castera (Carrefour) résume bien sa mission de leader : « Je conçois mon rôle de manager comme un chef d'orchestre, un coach qui crée un alignement dans l'équipe et au-delà ». Le Transformateur Stratégiste doit embarquer toute l’entreprise dans sa vision.
Dans cette manière de « repenser en profondeur l’organisation et les manières de travailler » Maud Bailly (Accor), n’a pas peur d’utiliser le terme de « révolution culturelle » : « Aller plus vite, exécuter plus vite, tester davantage, basculer en co-design de nos solutions, développer de l’agile, du matriciel, tout ceci participe d’une révolution culturelle »
Le CDO est aussi un formidable analyste qui doit parfois savoir dénouer les nœuds gordiens tendus par l’attelage de la modernité et faire le tri entre les process : « Dans le numérique, il y avait plutôt trop de projets que pas assez. » se remémore Lubomira Rochet (L’Oréal). « Mon sujet, c'est de faire converger les initiatives et les ressources vers un plus petit nombre d'actions à effet immédiat »

/ 02 Le Techno-Data-friendly

N’allez pas confondre CDO et CDO ! Le Chief Digital Officer et le Chief Data Officer sont en général des personnes bien distinctes, en tout cas à l’échelle des groupes CAC 40… Pour autant, l'analyse de données, devenue un asset stratégique pour tous les secteurs économiques, constitue le cœur du réacteur pour la plupart des Chief Digital Officer.
Le profil « ingénieur » est sur-représenté dans ce CEO techno-friendly qui a pour mission d’utiliser l'ensemble des données pour améliorer l'expérience des clients comme des employés.
Le groupe Air Liquide, dont la division digitale est dirigée par Émilie Mouren-Renouard, illustre parfaitement cette pratique puisque l'entreprise collecte plus d'un milliard de données par jour, notamment à des fins de maintenance prédictive : « En détectant certaines anomalies sur nos équipements, nous pouvons intervenir à titre préventif, avant qu'ils ne tombent en panne. C'est particulièrement intéressant pour garantir à nos clients la fiabilité de l'approvisionnement. » Cela passe par une collecte et analyse de données systématiques et « une solide politique de data à l'échelle du groupe »
Un autre enjeu de l'utilisation des données est écologique. Pour Philippe Mareine, CDO d'Atos, les technologies numériques pourraient réduire de près de 20% les émissions de gaz à effet de serre grâce à l'optimisation des chaînes d'approvisionnement ou encore une meilleure traçabilité des produits pour les recycler. Même objectif au sein du groupe Engie où Yves Le Gélard conçoit son rôle comme ni plus ni moins celui d’un « développeur de logiciels » qui permettront à ses clients de mieux consommer. Pour créer « des offres sophistiquées, complètes, couvrant l’efficacité énergétique, le renouvelable, la gestion de réseaux décentralisés », le digital doit être « placé au cœur de ces solutions. » rappelle le CDO d’Engie.
Mais la donnée est également un actif fort qui permet de mieux engager le consommateur comme le souligne Domitille Doat- Le Bigot : « Chez Danone, la data et la tech sont employées selon deux objectifs : accompagner l’engagement qualité du groupe et mieux comprendre le consommateur. »

/ 03 Le Marketing Leader

Plus opérationnel, plus commercial, le CDO Marketing Leader fait également sienne cette promesse de « mieux comprendre le consommateur ». Dans son acronyme il faut entendre digital comme digital marketing. C’est une vision plus « historique » du rôle de CDO et plus orientée Ventes mais toujours aussi stratégique à l’heure où 83% des décideurs4 estiment que la priorité n°1 de la transformation digitale est la satisfaction des attentes clients.
Le rôle du CDO se concentre alors sur la génération de revenus en ligne et la captation de nouveaux clients via une stratégie omnicanal. Mais il n’est pas dénué d’un rôle de transformation interne, tant cette mission orchestre et amplifie la tendance de fond de nombreuses entreprises à rapprocher leur pôle digital et commercial pour mieux développer l’e-commerce et l'expérience client en ligne.
Chez Pernod-Ricard, le volet a été confié à Pierre Yves Calloc'h qui a pour mission de piloter la transformation digitale des fonctions marketing et commerciales. Accélérer la présence de ses marques en ligne est devenu un impératif, comme le souligne Grégory Boutté, ancien responsable d'eBay France et actuel Chief Client & Digital Officer chez Kering « 70 % des achats sont influencés par le Web ».
Loin de se cantonner aux seules données de la vente, c’est une véritable restructuration de toute l’expérience client qui est repensée grâce au digital nous rappelle Lubomira Rochet, ex CDO de L’Oréal « Nous sommes de plus en plus tournés vers l’utilisation de la donnée pour une meilleure personnalisation de l’expérience client » explique celle pour qui « le digital a été absolument essentiel pour toucher une nouvelle génération de clients. »
« A l’ère du digital, l’hospitalité doit offrir une expérience client combinant à la fois tout son savoir-faire dans la prise en charge physique (…) et la fluidité de services en ligne permettant de rendre le séjour toujours plus simple à concevoir, à vivre et à noter. » conclue Maud Bailly. La mode, le luxe ou l’hôtellerie ont été les premières industries à saisir la transformation de cette expérience client, mais désormais toutes les secteurs économiques leur ont emboité le pas…

Le mot de la fin

Malgré une mission commune – faire entrer l’entreprise dans le 21ème siècle digital –  les Chief Digital Officers restent encore très différents d’une entreprise à l’autre, que ce soit en termes de missions, de moyens mis à disposition ou de l’influence dont ils parviennent à disposer sur la stratégie du groupe.

La répartition assez équilibrée entre profils ingénieurs et profils commerciaux comme entre recrutement externe et nomination interne rappellent que plusieurs voies d’accès au poste sont possibles.

Disrupteurs, visionnaires, les CDO des grands groupes du CAC 40 restent encore majoritairement des hommes, senior, mais plus proches de la quarantaine que de la cinquantaine. Le profil à n’en pas douter va rajeunir et se féminiser. Du moins espérons-le…

La présence des CDO continue à se développer et à gagner en importance au sein des groupes. Loin d’être le « bras armé » d’une direction qui pousse au changement pour le changement comme on l’a parfois caricaturé à ses débuts, le CDO porte une vision très large de l’entreprise et dispose d’une acuité forte sur l’évolution de son secteur.

Dès l’explosion des postes de CDO au début des années 2010, de nombreux cabinets prophétisaient d’une même voix leur disparition à horizon 2020 ou 2025. Dans les grands groupes du CAC 40 où la transformation numérique peine encore à prendre son envol, les CDO ont encore de beaux jours devant eux…

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